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Le jardin de Jacqueline

Bienvenue dans mon jardin. Entre cuisine et spiritualité, l'île de la Réunion et le Monde, je vous invite au fil de la promenade, à partager mes passions, mes plaisirs et mes joies, mes nourritures terrestres et mes nourritures célestes.

Zembrocal haricots jaunes, rougail 3 cousins, fricassée de brèdes, pour fêter le 20 décembre en "cuisinant pour la paix"

Zembrocal haricots jaunes accompagné de son rougail 3 cousins et des brèdes en fricassée servis dans la feuille "figue".

Zembrocal haricots jaunes accompagné de son rougail 3 cousins et des brèdes en fricassée servis dans la feuille "figue".

Petite page d'histoire

Notre jolie petite ile de la Réunion, cette "ile intense" pour reprendre des clichés publicitaires touristiques,  est un département français situé en zone Océan indien entre Madagascar, l'Afrique australe et le sous-continent indien. Proche de l'île Maurice, elle forme avec elle et l'île Rodrigues ce qu'on nomme l'archipel des Mascareignes, du nom de leur découvreur portugais, Pedro de Mascharenas. Comme ses deux voisines et cousines, la Réunion, à l'origine nommée île Bourbon, a connu un long passé esclavagiste et un intense brassage de populations et de traditions culturelles venues des quatre coins du monde qui ont fait d'elle une île créole. Ici on est à la fois Français, Africain et Malgache, Chinois,  Indien du Nord et du Sud ... Comorien,  Européen....

Colonie française très tôt après sa découverte au 16ème siècle, notre île à l'origine déserte, a construit son économie d'abord, sur l'exploitation des épices et du café, puis sur celle de la canne à sucre. Les esclaves venus d'Afrique et de Madagascar ont été  la main d'oeuvre indispensable à ces productions. Le 20 décembre 1848 est le jour de leur libération, proclamée par le gouvernement provisoire de la deuxième République française.

Longtemps l'histoire locale a banalisé cet événement qui a été reconnu comme fête de l'identité réunionnaise, seulement à la fin du vingtième siècle. Depuis, ce jour est férié dans notre île. Et c'est pour le mettre à l'honneur  que je propose de  "cuisiner pour la paix" en m'associant au magnifique blog de Sophie : "la tendresse en cuisine". 

Pour se faire, j'ai choisi un menu qui puisse nous rappeler la mémoire de nos ancêtres esclaves et colons. Notamment en ce qui concerne le poisson séché/fumé et les "brèdes" qui constituaient en partie, la base de leur nourriture.

Ici je vous propose de les revisiter à ma façon sur la base de trois recettes qui forme un tout.

Les trois cousins

Dans le sens des aiguilles d'une montre : en haut la morue, à droite le hareng, puis le snoeck.

Dans le sens des aiguilles d'une montre : en haut la morue, à droite le hareng, puis le snoeck.

Nos trois cousins sont trois poissons séchés, salés, fumés :

La morue qui est séchée et salée.

Le snoeck dit "sounouck" en créole, qui est séché, salé et fumé.

Le hareng  qui est salé et fumé.

Ce qui les rassemble est leur mode de conservation : séchage, fumaison, salaison.

Si la salaison est un héritage de l'Europe, le séchage et l'enfumage ou le "boucanage" - du créole "boucaner" - nous viennent de nos ancêtres malgaches. A l'origine, ces trois poissons se consommaient séparément. On pouvait les faire griller, frire ou les accommoder en rougail comme nous allons le proposer. L'idée de les mélanger dans une même recette est une invention toute récente. Je l'ai découverte chez un restaurateur local il y a deux ans et j'ai eu envie de la refaire pour moi même, car le mélange est succulent, chaque poisson relevant les autres. 

Ma recette du rougail 3 cousins pour 6 personnes: recette numéro 1 

Mais c'est quoi un  rougail?

C'est un mot qui nous vient du Tamoul "ouroukaille". Le rougail consiste à accommoder avec du piment, soit un produit frais et dans ce cas il s'agit généralement de légumes ou de fruits verts comme les mangues ; soit du poisson ou de la viande salée ou fumée (saucisses ou côtes de porc qu'on appelle ici du "boucané"). Le rougail se différencie nettement du cari qui généralement est cuisiné avec du poisson frais ou de la viande fraiche. Lorsque le rougail consiste en un accommodement de fruits verts ou de légumes pimentés, il vient en accompagnement du plat comme un chutney, pour le relever. Les rougails de poissons ou de viande salés ou fumés sont des plats principaux consommés avec du riz, base de la nourriture créole, préparé de diverses manières dont le zembrocal.  

Les ingrédients pour le rougail

Pour faire le rougail 3 cousins à ma façon, il faut environ 400 grammes de chaque poisson.

3 oignons moyens, quelques belles gousses d'ail, 4 à 5 tomates bien mûres ajoutées au  jus d'une boîte de tomates en conserve.

Des aromates : je prends celles de mon jardin, du thym, du basilic, du persil, de l'aneth ... 

Du curcuma et quelques gros piments (plus ou moins forts selon vos goûts), du poivre en grains concassés ou pilés, éventuellement du sel pour  la sauce tomates, mais en infime quantité tant les poissons, même dessalés gardent un peu leur saumure.
De l'huile d'olive.    

La marche à suivre 

Faire dessaler  les poissons la veille au soir pour une préparation le lendemain matin. Pour être goûtés, ils doivent tremper toute la nuit dans l'eau froide. 

Le lendemain matin, les rincer une ou deux fois et les faire blanchir, puis les émietter en prenant soin d'enlever les arrêtes qui sont désagréables à mastiquer. On peut garder l'os central du snoeck, le "rein sounouck" comme on dit en créole, mais en prenant soin de le séparer de la chair. Il donnera du goût au plat. Simplement, on l'enlèvera au moment de servir.

De même pour le hareng, lorsqu'il porte des oeufs, il faut les garder et prendre soin de ce qu'ils ne s'effritent pas trop, car ils rendent le plat plus goûteux.

Réserver cette préparation

1 : trempage des 3 cousins la veille - 2 : nos 3 cousins émiettés - 3 : le "rein sounouck"1 : trempage des 3 cousins la veille - 2 : nos 3 cousins émiettés - 3 : le "rein sounouck"1 : trempage des 3 cousins la veille - 2 : nos 3 cousins émiettés - 3 : le "rein sounouck"

1 : trempage des 3 cousins la veille - 2 : nos 3 cousins émiettés - 3 : le "rein sounouck"

Emincer les oignons, pillez l'ail dans un "kalou/pilon" ou un mortier, couper les tomates en petits morceaux.

Pour le "kalou/pilon" qui est l'outil de cuisine essentiel en cuisine réunionnaise, je vous renvoie à mes articles précédents sur ce même blog.

Dans une cocotte, hors du feu, mettre les 3 cousins émiettés, puis les oignons émincés et l'ail pilé, les tomates coupées, une cuillerée à soupe de curcuma, le poivre pilé ou concassé, le jus de tomates légèrement dilué avec une petite quantité d'eau et une pincée de sucre visant à atténuer l'acidité. Terminer par une belle cuillerée à soupe d'huile d'olive. Recouvrez des aromates et faites cuire à feu doux cette préparation pendant environ une heure. A la fin de la cuisson, rajouter les gros piments tranchés en quatre, en prenant soin d'enlever les graines si vous ne souhaitez pas que votre plat soit trop relevé. Laissez mijoter, le temps de préparer autre chose.

 

les étapes de la préparation en mateloteles étapes de la préparation en mateloteles étapes de la préparation en matelote

les étapes de la préparation en matelote

Le rougail ainsi cuisiné peut se déguster avec de la semoule de maïs ou du riz, cuits à la créole ou en "zembrocal."

Notons toutefois que j'ai opté ici pour une cuisson des 3 cousins à la matelote. D'autres préféreront faire d'abord revenir les poissons, puis y rajouter les oignons, l'ail, les tomates, le curcuma et les aromates pour faire une sauce. Le goût sera sensiblement différent. Je trouve pour ma part, la recette en matelote plus  savoureuse, car elle évite de dessécher de nouveau les poissons, qui  lorsqu'ils sont préalablement revenus, sont plus durs. 

Et pour ceux qui n'auraient pas de snoeck sous la main, car c'est un poisson des mers du Sud, type barracuda, ils peuvent tout à fait le remplacer par du haddock ou un autre poisson fumé ou séché.

Le "zembrocal" haricots jaunes

On dit "zembrocal" ou "embrocal".

A base de riz ou de maïs qui ont constitué tous les deux, les éléments de base de la nourriture de la colonie et des esclaves, le "zembrocal" consiste à les mélanger l'un ou l'autre avec des grains ( légumineuses) ou des pommes de terre aromatisés de curcuma, d'oignons et de thym. Considéré comme "l'emblème" la société réunionnaise, le "zembrocal" est un symbole de sa culture métisse, car les divers éléments qui le compose peuvent être reconnus pour ce qu'ils sont et être distingués comme riz, grains, épices, tout en constituant à l'instar de l'humanité locale, un tout solidaire et original, différent de ses composantes.  Le "zembrocal" se prépare un peu comme une paëlla, pour de nombreux convives. Il est un plat de choix pour les pic nic, ou les garden party un peu "roots". Notamment lorsqu'il est servi avec des rougails.

Servi dans la feuille "figue", c'est à dire la feuille de banane qui tient lieu d'assiette, comme sur la photo de couverture, il rappelle le "temps longtemps", c'est à dire la vie d'autrefois, lorsque la vaisselle était rudimentaire et lorsqu'on avait l'habitude de manger  "avec la main", assis par terre : manière de faire devenue patrimoniale et remise au goût du jour par le développement touristique et les réhabilitations identitaires. Personnellement j'aime le "zembrocal" et j'adore le consommer ainsi, en cercle d'amis dans mon jardin ou en pic-nic. 

Les haricots "jaunes": haricots arrivés à maturité avant qu'ils ne sèchent.  Ils constitueraient alors des grains secs qu'on peut aussi utiliser pour cuisiner un "zembrocal". Mais j'ai fait ici un autre choix.   

Ma recette du zembrocal haricots jaunes pour 6 personnes : recette numéro 2

Les ingrédients

500 grammes de haricots jaunes non écossés.

500 grammes de riz  blanc ou complet.

Un petit oignon, du curcuma, du sel, du poivre, des aromates, un carré de bouillon cube végétal, de l'huile d'olive. 

La marche à suivre

Commencer par écosser les haricots jaunes

Emincer les oignons  puis les faire revenir dans une cocotte avec une ou deux cuillerées d'huile. Ajouter alors les haricots jaunes, une petite cuillerée de curcuma, le carré de bouillon cube et les aromates ( thym, basilic, laurier, lavande ou romarin et si vous avez de la sauge, c'est excellent). Laisser mijoter quelques minutes en fermant la cocotte. Cela fera ressortir le parfum et la saveur des aromates. 
Ouvrir la cocotte, rajouter un demi litre d'eau et la remettre en route pour environ une demi-heure après les débuts de la rotation de la soupape. 

Passée la demi-heure, les haricots sont mi-cuits. C'est le moment de rajouter le riz préalablement lavé et un peu sel accompagné d'un surplus d'eau qui doit couvrir l'ensemble de la préparation.  

Redémarrez la cuisson pour un peu plus d'une demi-heure, mais en surveillant que le riz soit suffisamment cuit. Rajoutez de l'eau au besoin. Il est préférable de mettre un peu moins d'eau au départ et d'en rajouter petit à petit, car une fois  le "zembrocal" cuit, les grains et le riz doivent se détacher et non pas trop coller.

Le "zembrocal" ainsi préparé peut se faire également avec des petits pois, c'est excellent. Il peut aussi se préparer avec des haricots secs rouges ou noirs et toutes sortes d'autres légumineuses.  

la préparation du zembrocal la préparation du zembrocal la préparation du zembrocal
la préparation du zembrocal

la préparation du zembrocal

La fricassée de brèdes

 

Les brèdes?

Tous fanes, feuilles comestibles domestiquées ou sauvages, qui sont accommodées en fricassée ou sous forme de bouillon.

Nous connaissons ici à la Réunion plusieurs variétés de ce que l'on appelle des "brèdes". Elles vont du chou chinois, au laiteron ( "lastron " en créole), en passant par les lianes diverses non toxiques, les feuilles de manioc ou d'autres arbustes comme le "mourongue"( de la famille des moringacées) et l'usage des salades qui peuvent être mélangées à d'autres feuilles selon les goûts et selon ce que la ménagère a sous la main ou dans son jardin.  Avec les grains et le maïs puis le riz qui a fini par remplacer les racines, les "brèdes" ont constitué le repas essentiel des esclaves, selon les historiens.

Les "brèdes" sont servies généralement en accompagnement du riz et du plat principal et peuvent être plus ou moins relevées selon les goûts.

diverses feuilles ramassées dans mon jardin : chou de chine, brèdes morel, pariètaire, roquette, trévisse, laiteron ...

diverses feuilles ramassées dans mon jardin : chou de chine, brèdes morel, pariètaire, roquette, trévisse, laiteron ...

Ma recette de la fricassée de "brèdes" pour 3 à 6 personnes : recette numéro 3

Ingrédients

Un gros bouquet de "brèdes" d'une seule variété ou mélangées.

Ici j'ai opté pour un bouquet de mélange cueilli dans mon jardin, comme indiqué dans la légende de la photo : chou de Chine, "brèdes pariétaire" (Parietaria officinalis), "brèdes morelle" (Solanum americanum Mill), diverses salades... La plupart sont des feuilles tropicales, difficiles à trouver en Europe. Il faut dans ce cas utiliser des feuilles de salade qui ont un goût relevé comme la chicorée , la roquette et les fans de radis par exemple.  

Un petit oignon, une ou deux gousses d'ail selon votre goût.

1 ou 2 grains de petit piment ou 1 ou 2  gros piments ( facultatif ).  Eventuellement un petit morceau de gingembre.

Une légère cuillerée d'huile d'olive

Sel en grains, poivre

La marche à suivre

"Triez les brèdes", c'est à dire, nettoyez les : séparez les feuilles de leurs cotons tiges, éliminez celles qui sont trop abîmées. Puis, coupez les en petits morceaux ou hachez les moyennement s'il s'agit du chou de Chine par exemple.

Lorsqu'il s'agit des feuilles de manioc, cela demande une préparation spéciale qui réclamerait la présentation d'une recette en elle même, car il faut piler ou passer à la moulinette ces feuilles "triées" puis les laver longtemps à l'eau fraiche jusqu'à ce qu'elle devienne claire, car elles contiennent  un lait indigeste. On utilise rarement les feuilles de manioc uniquement en "brèdes", elles font l'objet d'une préparation avec de la viande de porc ou de boeuf et parfois du lait de coco. Je donnerai une autre fois cette recette qui présente des variantes introduites dans notre cuisine locale, plus récemment et venant des îles Comores.   

Pillez préalablement le poivre, le sel avec l'ail, le gingembre et le piment si vous souhaitez des brèdes qui soient pimentées. 

Emincez l'oignon.

Dans une sauteuse, faites revenir toute cette préparation. En créole on dit "faire roussir", c'est à dire la faire dorer  en évitant qu'elle ne brûle.

Mettez y les "brèdes" en  les retournant rapidement pour qu'elles "s'échaudent". Lorsqu'elles ont réduit de moitié et cela se fait assez vite, arrêtez le feu, couvrir. Elles rendront ainsi un petit jus agréable. L'opération doit être rapidement menée, car les "brèdes" sont moins bonnes lorsqu'elles sont trop cuites. Elles doivent croquer sous la dent.

Si vous cuisinez des "brèdes" le soir, lorsqu'elles sont "échaudées", vous pouvez les noyer dans une bonne quantité d'eau pour faire un bouillon.

"Le bouillon de brèdes" était utilisé autrefois en guise de soupe, qu'on versait sur le reste du repas du midi. Ce qui donnait un plat chaud et consistant. Son aspect diurétique l'a remis tout récemment au goût du jour,  car la plupart des feuilles qui le composent et que traditionnellement nous  récoltons dans nos jardins, ont une nature médicinale.

Pour la recette que je vous propose aujourd'hui j'ai opté pour la fricassée non humidifiée. Mais vous pouvez tenter le bouillon, avec le "zembrocal" c'est aussi délicieux.
 

 

 

 

 

 

brèdes cuites prêtes à être servies.

brèdes cuites prêtes à être servies.

Maintenant vous avez les trois recettes que j'ai servies dans des feuilles "figue" à des cousins que je n'avais pas revus depuis vingt ans et qui sont arrivés bien à propos dans mon jardin, le jour où j'ai réalisé ce menu en préparation de la fête du 20 décembre. Je les remercie, ils m'ont servi de goûteurs. Je pense qu'ils ont apprécié. 

Quand à vous, je vous souhaite une belle réussite de ces recettes et j'attends vos retours. 
Je souhaite à mes frères et soeurs réunionnais un joyeux 20 décembre. En finissant cette publication hier soir, j'entendais le son des tambours dans le coeur de mon village, rappelant la libération.

Un grand et lumineux merci à Sophie et à sa Tendresse en cuisine qui me permettent de faire connaitre la cuisine de mon pays.

Un voeu : continuons à "cuisiner pour la Paix".

Je vous embrasse.

A une autre fois pour de nouvelles recettes d'ici et d'ailleurs.

Belles fêtes de fin d'année.

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